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La fenêtre de Siméon Flower

15 février 2018

Bal de nuit, un moment à Port des Canonge

Samedi matin.
Comme d'habitude, je pars en mer avec Pep, Tolo et tous les habitués. Les filles sont là, bien habituées à ma présence. Ces sauvageonnes se méfiaient de moi au début mais mon désir de m'intégrer et d'apprendre vite leur langue, les a apprivoisées. Elles ne me lâchent plus d'une semelle, bien que pieds nus sur le bateau. Elles veulent tout savoir, me bombardent de question, rient de mes réponses quand les mots se bousculent. Elles ouvrent de grands yeux ou éclatent de rire, posent une main sur mon épaule ou tournent la tête pour se laisser coiffer par le vent.
Elles sont magnifiques.
Pep, le frère de Tolo, s'approche, vient s’asseoir près de moi, à même le pont.
-Ce soir, c'est la fête à B..., ça te dirait de venir ?
-Et on irait comment ?
-Par la montagne, à pied !
Il éclate de rire.
-Comment ça, à pied ? La nuit ? Dans le noir ?
-Ce soir, il y aura la lune pour nous guider. Ça te fait peur ?
Je lui retourne un regard qui marque mon irritation.
-Il y a un chemin ? Il me semble qu'il n'y en a pas...
-Il y a celui des chèvres, on y arrive facilement.
-De jour, je n'en doute pas, mais de nuit ?
-Tu feras comme les chèvres, tu ouvriras grand les yeux !

Nous avons bien pêché ce matin.
Les filles m'ont félicité d'avoir capturé une vive superbe. Avec les précautions qu'ont prises les autres, je me suis rendu compte que c'était un animal particulièrement dangereux mais délicieux ! Le poisson a été neutralisé tranquillement par le vieux Pep puis remisé dans un coin.

Ce midi, je me suis régalé de ma prise matinale. Du riz bien sûr, de l'eau et du vin, quelques fruits. Le bonheur des choses simples.

Ce soir, je pars avec Pep. Nous discutons d'abord côte à côte. Le chemin se rétrécissant, nous sommes contraints de nous mettre l'un derrière l'autre. Très souvent, nous nous agrippons aux branches ou aux racines aériennes. Mon compagnon a le pied sûr des hommes de montagne, je le suis beaucoup moins. J'écarquille les yeux de toutes mes forces. Cela me fatigue plus que la marche en elle même. Il nous faut deux bonnes heures pour atteindre les abords du village. La musique se fait une peu plus présente à chaque pas.
Il fait doux, l'air de la mer se parfume en flirtant avec la végétation.

Que dire de la fête ? Quelques jeunes gens dansent et s'amusent dans leur coin. Les aînés s'animent autour de leurs verres, laissant de temps s'échapper un éclat de rire. Une fête locale tout à fait normale.
-Tu es français ?
-Heu...Oui !
-Je suis anglaise !
Des mots tout simples qui rompent un peu le ronron des conversations. Nous parlons un bon moment dans notre coin.
-Ce matin, je t'ai vu sur le bateau... Tu pêchais ?
-Ben oui.... (Ici, on n'est sur un bateau que pour pêcher!).
Et les mots s’enchaînent ; elle m'a vu, moi non. Elle me parle, je suis maladroit dans mes propos. Elle me questionne, je réponds maladroitement.
Elle a de beaux yeux. Elle fixe les miens.
-Tu as de beaux yeux !
Je suis planté, immobile !
Le « T'as d'beaux yeux, tu sais... » me cloue sur place.
Je ne sais pas si les musiciens jouent encore...
Je ne sais plus comment je m'appelle...

Il fait doux, l'air de la mer se parfume en flirtant avec la végétation.

Nous sommes sur le chemin du retour, Pep ouvre la marche. Il ne parle pas, à peine quelques mots pour m'éviter un faux pas, ou esquiver une branche.
Je me sens si léger, si heureux. J'ai envie d'écarter les bras et de m'envoler, de planer jusqu'à la mer, là, tout en bas, qui m'invite et semble m'appeler... Des petits éclats de lune qui se perdent entre les vaguelettes et les clapotis...
La nuit est belle.

Pep me laisse à la porte de la maison. Porte est un mot vide, puisqu'il n'y a pas de porte. A peine un rideau de coquillages qui chante toute la nuit.
Je me couche et m'endors de suite.

Janine chante dans la cuisine. Je me lève doucement, enveloppé d'un nuage encore tiède.
-Janine ! On est le matin ou le soir ?
Éclat de rire.
-Le matin !!!
Éclat de rire.
Et je me recouche jusqu'au soir...

BLOG barque mallorc

 

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8 février 2018

Michel et Zara...et Siméon raconte en silence

De sympathiques hauts-parleurs manifestent une certaine mauvaise humeur en débitant quelques phrases en espagnol.
Puis en anglais. Puis en allemand... Mais pas en français !
Et je fais quoi moi ? Dans cette foule remuante, j'avoue un moment d'inquiétude... Ayant connu des moments bien plus angoissants, je ne m'affole pas et cherche une solution. Autour de moi, des gens pressés se croisent sans un regard, dans un ballet sans chorégraphie, sans humanité. Chacun court et je reste planté de longues secondes. Bien observer l'environnement et trouver une solution.
Inespéré, droit sur moi, comme une flèche, arrive un sourire. La dame s'arrête en harponnant mon regard et propose son aide, spontanément. Elle s'exprime en français, c'est merveilleux ! Son accent, léger et sautillant, se fond presque dans le brouhaha.
Pourquoi pas ? Une aide tombée du ciel, ou d'ailleurs. Le bonheur est parfois si facile à capturer pour qui sait patienter, ou espérer, ou entrebâiller son cœur ou simplement les yeux.
En fait, c'est une voyageuse que j'avais déjà croisée dans le train. Elle n'avait pas osé prendre contact. Elle a presque mon âge, ou à peine un peu plus. Elle est aussi grande que moi, et semble plus légère. Longue, mince, les cheveux d'un noir à rendre jalouses les nuits les plus sombres, elle touche à peine le sol dallé.
-Première visite à Barcelone ?
-Oui, je dois prendre un avion pour Palma !
-Je sais...
Comment pouvait-elle le savoir ?
Pendant quelques secondes, je me pose la question. Elle devait se trouver à mes côtés quand j'ai manipulé mes billets de transport. Dans ce cas, j'ai de quoi m'en vouloir....
Une policière ? Une douanière ? Une gendarmette ? Une espionne ? Ou alors....une dangereuse aventurière ?
-J'étais derrière vous tout à l'heure et j'ai vu par hasard vos billets.
Me voilà rassuré.
-Mon avion décolle ce soir et...
-Ce soir ? Alors j'ai le temps de te présenter ma ville !
-Heu...
-Si tu veux !
Je suis d'un naturel méfiant, la vie m'a appris qu'il fallait toujours marquer le pas quand une porte de paradis s'ouvre trop facilement. Et à mettre trop vite la main, on peut se pincer douloureusement les doigts !
Je suis ce sourire éclaboussant de vie. Le taxi nous prend pour des amoureux qui se retrouvent. Alors il s'engage sur un itinéraire pour touristes à plumer gentiment. Zara explose, puis, en posant ses mots, éclaircit la situation. Ils se parlent en catalan.
Je n'entends plus le conducteur, il reste muet. À mon avis, quelques jolis mots fleuris et dangereusement précis, ont dû modifier un itinéraire trop bien prévu. Pour un résultat positif !
Je visite Barcelone.
En bonne compagnie.
C'est une ville magnifique, vivante et grouillante. Les conducteurs sortent le bras par la vitre baissée pour indiquer un changement de direction. Je m'en amuse.
Et le temps passe. La ville m’enivre de mouvements.
Zara se rend compte que je suis épuisé par mon long périple. Nous mangeons dans un petit restaurant de son quartier. Puis je perds toute notion du temps..
Me voici au soir. Il fait bon...
Mon avion décolle à 19h45.
Je n'ai pas envie d'évoquer plus longtemps ce moment heureux.

De nos jours...
Zara et moi avons échangé de nombreuses lettres. Je n'ai pas et n'ai jamais eu de photo d'elle, ni elle de moi. Elle m'a caché son état  alors qu'il m'était impossible de la revoir. Et puis un jour, j'ai appris qu'un cancer l'avait emportée en quelques semaines.
Cette année-là, je perds mon ami Michel.
Je suis certain qu'ils se sont reconnus là où ils sont...

Une page que je ne tournerai pas...

3 février 2018

Siméon raconte encore... (vers Port des Canonge)

Je change de train. Une histoire d'espacement des rails. Trop large d'un côté, trop étroit de l'autre. J'espère que le conducteur ne se trompera pas de chemin, ou de train... Je m'installe dans un wagon dont les passagers ne semblent pas inquiets. Mon bonjour n'a pas beaucoup d'écho, comme si ma présence n'était pas désirée. Je reste naturel, je reste moi. Cette fois, je suis assis dans le sens de la marche, près de la fenêtre. À l’extérieur, la fourmilière est active. Les valises et les malles se promènent en compagnie de bras et de mains solides et sûres. On crie, on s'interpelle... La vie est là.
Il est matin, j'ai déjà chaud. Pourtant je ne fais rien. J'attends que le train démarre en espérant glaner une bouffée d'air.
Il n'y a personne devant moi. J'en profite pour allonger mes jambes. Il me faut éviter de m'endormir...
-Vos papiers s'il vous plait !
Je sursaute. Encore un contrôle ? Je dois avoir une tête antipathique ou ressemblé-je à un dangereux malfaiteur dont la photo occupe les Unes ?
Dans un sens c'est bien utile : c'est un excellent moyen de se souvenir de mon identité, de se rappeler d'où l'on vient, et de savoir où l'on va !
L'homme au joli costume épluche mon passeport. Lui qui me parle en espagnol sait-il lire le français ?
Il ne demande rien aux autres occupants et quitte le compartiment juste avant que le train soit pris d'un soubresaut nerveux. Une sorte de hoquet mécanique.
Enfin, nous partons ! Je me sens mieux.
Mon voisin de gauche, qui m'ignorait jusqu'alors, me chuchote :
-Alors ? Comme ça vous êtes français ?
-Oui, mais c'est un hasard. J'aurais pu être yougoslave ou péruvien, britannique ou malgache... mais je suis bien dans cette situation et je ne tiens pas à m'en guérir !....
L'homme me regarde, sourit et m'annonce en me donnant la main :
-Raphaël !
Nous nous serrons la main énergiquement. Le visage des autres passagers s'éblouit d'un immense sourire et je fais la connaissance de mes compagnons de voyage.
Et d'un flot de questions...
-Oui, je me rends à Barcelone.
-Oui, je vais prendre l'avion.
-Oui, je me rends à Palma.
-Oui, j'y connais des gens.
-Oui, j'ai le pied marin.
-Non, je n'ai jamais pris l'avion.
-Non, je ne parle pas l'espagnol. (ce n'est pas tout à fait vrai, je le comprends un peu, mais juste un peu.)
Et le temps passe... Quant au train, il se déhanche et se tortille tant bien que mal sur sa voie. Le confort est différent, certes, mais cela m'importe peu. Le bruit me gêne modérément, il m'empêche de bien comprendre certains mots. Sauf quand il s'arrête sans raison apparente en pleine campagne.
C'est donc dans ces conditions que je découvre Barcelone. Le chemin de fer traverse des quartiers qui renvoient une image pas très jolie de la ville. Quelques ruines, de nombreuses maisons délabrées, une image presque inquiétante...
Le train ne s'en préoccupe guère et accomplit sa mission.
Gare de Barcelone, taxi, aéroport.
Je tourne la page.

31 janvier 2018

Siméon raconte encore...

Arrivé à la Gare d'Austerlitz, je m'envole du taxi et file à tire-d'aile vers le train sans prendre garde à ce qui m'entoure. Aucun détail ne retient mon attention. J'ai trop peu de temps devant moi. Je trouve vite ma place.
En face de moi, un couple qui doit avoir l'âge que j'ai aujourd'hui. (Ça va ? Tu suis ?...). À eux deux, ils doivent comptabiliser un siècle de plus que moi... à peu de chose près. Ce qui ne nous empêche pas de sympathiser. Je sens que leur compagnie me sera fort agréable.
À leur droite, une jeune femme fouille dans un sac à main immense. Ses cheveux cachent un visage que je n'ai pas encore vu. A-t-elle de beaux yeux au moins ? Je le saurai au cours du voyage... à moins que l'exploration ne soit interminable. 
Près de moi, une dame lit. C'est la première chose que j'ai repérée en entrant dans le compartiment. « Lève-toi et marche », d'Hervé Bazin. De cet auteur je n'ai lu que « Vipère au poing".Je pense qu'elle fermera son livre avant la fin du voyage. Elle semble être une lectrice particulièrement active et concentrée.
Près de la fenêtre, un autre couple ne se préoccupe pas des autres passagers. Le jeune homme, les sourcils froncés, semble tendu et tient des propos d'une tonalité agressive. La jeune dame, sur la défensive, réplique en sourdine dans un calme qui me plait bien... 
Le wagon subit un soubresaut et les conversations cessent. Les regards se tournent vers la fenêtre. Fausse alerte.
La porte du compartiment s'ouvre, une tête antipathique apparaît et disparaît dans un grommellement.
-Il n'a pas l'air content le Monsieur ! Lance mon vis-à-vis.
-Il cherche sans doute le wagon-restaurant !...
(Pourquoi je dis ça moi ? J'ai faim, c'est vrai, mais ces mots sont partis automatiquement).
-Il y avait pourtant encore une place pour tout à l'heure !
Je ne comprends de suite le sens de ces mots. Nous quittons la Gare et le convoi s'élance vers le sud, vers la frontière espagnole. Je vérifie si mes papiers d'identité occupent toujours ma poche. Tout y est : Carte d'identité, passeport, certificat d'émancipation. Je n'ai que dix-sept ans et j'en ai besoin.
Et les heures roulent et s'écoulent au rythme du train qui plonge dans la nuit.
Devant moi, monsieur et madame posent un panier sur les genoux et déballent une incroyable armée de victuailles campagnardes. C'est impressionnant ! La lumière n'est pas très efficace mais je distingue des fruits, du pain, des saucissons de toutes tailles, deux bouteilles de vin bouchées manuellement, une véritable caricature de petit déjeuner sur l'herbe. Je n'en reviens pas.
La dame au sac à main n'ose pas bouger le moindre cil. L'autre dame pose son livre, cesse sa lecture et lève le bout du nez.
-Heu...Vous permettez ? On a une petite faim !...
Mon estomac se met à genoux.
(-S'il te plait, occupe-toi de moi...)
-Tiens mon gars ! Je sais ce que c'est !
Et me voici les yeux écarquillés devant un casse-croûte de compétition difficilement tenu par mes deux mains ! J'enfonce les dents avec bonheur, découvrant des saveurs exquises de cornichon au vinaigre, de terrines diverses et me semble-t-il de quelques feuilles de roquette bien fraiches. 
-T'aime bien la roquette ? Ma mère appelait ça de la riquette !...
-Oui, j'adore !
-Tu sais à quoi ça ressemble ?
Et l'homme me tend une gravure en couleurs représentant de la roquette à divers stade de son développement.
-On dirait du « diplotaxis à feuilles ténues » !
L'homme s'arrête de mâcher.
-Tu connais ça, Toi ?
-J'ai bien dit « on dirait » !
-Et comment tu sais ça, Toi ?
-J'ai suivi il y a quelques temps les cours de Monsieur F., un professeur de sciences de la Nature, dont je garde un excellent souvenir. Il nous a initié à l'écologie, « une science d'avenir ».
Et les questions fusent. Dans chaque camp.
-Ce sont des cornichons de votre jardin ?
-Tu étais dans quel établissement ?
-C'est vous qui faites les terrines ?
-Tu étais en pension ?
-Vous y avez mis des grains de genièvre ?
-Tu revenais tous les combien ?
-C'est du porc ? Du veau ? Les deux ?
Je passe sur les échanges extraordinaires autour de ce casse-croûte hors du commun. 
Les bouteilles contiennent du vin de pays, c'est vrai. Mais de quel pays ?
Et le temps passe...
Port-Bou. Changement de train.J'entre en Espagne..

29 janvier 2018

Siméon raconte... (vers Port des Canonge)

Je remonte tranquillement le Boulevard des Flandres qui traverse le quartier ouest pour se jeter dans la route nationale, la route qui file vers l'autre côté du département. Une route encore bordée d'arbres dont je ne connais pas le nom. Peut-être des platanes... ou des tilleuls. Je ne n'ai pas le temps d'infuser, d'ailleurs je n'ai pas d’eau frémissante sur moi.
Je ne connais pas les horaires des autobus qui passent dans ce secteur. Aussi, c'est en auto-stop que je décide de prendre la route.
Je n'ai qu'un sac de toile sur le dos.Il contient ce qui me permettra d'entamer le quart d'un tour du monde. Je me débrouillerai sur place, si le besoin s'en fait sentir.
Il y a quelques jours, j'avais contacté une charmante employée d'une agence de voyage. Je lui avais simplement posé quelques questions sur mon projet, qui n'était alors que très vague...
Rejoindre Paris, le traverser. Gare d'Austerlitz, direction la frontière espagnole. Puis Barcelone et son aéroport. L'avion, l'auto-stop et le reste en espadrilles.
L'employée regarde mes billets, me les tend et se perd dans un sourire qui en dit long :
-Vous m'emmenez ?
Je saisis les feuillets.Par dessus le guichet, je tends l'autre main, grande ouverte, pleine de libertés.
La dame me répond par un soupir et me lance un « bon voyage ! » du bout des lèvres, comme dans un baiser.
Je sors dans un sourire. Je sais que je me souviendrai longtemps d'elle...
Je n'ai jamais pris un taxi. En sortant de la gare, je comprends vite le système. Je saute dans le premier véhicule qui s'offre. Tout comme la première phase du voyage en train, la seconde en voiture automobile s'écoule paisiblement. Le conducteur me fait sourire. Il est amusant avec son accent... c'est donc ainsi que s'expriment les parisiens...
J'aime bien.
Toutes les langues, tous les patois, les dialectes ont cette musicalité que j'ai appris à apprécier depuis ma plus tendre enfance. Sans doute est-ce à cause de cela que je saisis vite le sens des conversations de nombreux voyageurs ? Oui, je sais, je suis indiscret. Mes oreilles, qui avec l'âge ont tendance à devenir pavillonnaires, traînent un peu trop facilement. C'est bien utile parfois pour aider un couple de touristes étrangers en perdition, ou simplement égarés. Toutefois, ne me demandez pas de tenir une entière conversation, j'en suis incapable. J'en ai déjà entendu, ou compris des choses, mais jamais je ne les répéterai... Je suis fait ainsi.
Je saute du taxi et m'engouffre dans la gare.
Ensuite ? C'est une autre page à écrire...

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27 janvier 2018

La soupe.

  Siméon n'a que cinq ans et tient par la main son petit frère. Deux religieuses en cornette les ont déposés devant ce local étrange, une espèce de salle de bains vitrées où paradait une monumentale baignoire blanche martelée de taches noires.
Une baignoire !
  Eux qui se lavaient encore dans des baquets que la mère emplissait d'eau réchauffée sur le poêle à charbon, dans la cuisine, ce lieu si confortable et rassurant.
Eux, ils sont fascinés par cette horrible chose...

  Une dame immense les invite à se dévêtir. Siméon ne comprend pas son message ; il n'entend pas la langue française. Il devine les intentions et invite son petit frère à l'imiter. Très vite, ils se retrouvent tous les deux dans cette eau finalement moins chaude qu'à la maison. Ils tentent de jouer un peu mais très vite la grande dame leur fait signe de sortir et se sécher.
Siméon comprend qu'il va falloir se montrer très attentif aux injonctions des grandes personnes.
Vite ! Il faut vite apprendre.

  Tous ses sens sont alertés.
  La grande dame maigre les emmène.
  Ils s'enfoncent dans un long couloir sombre. Les murs sinistres osent à peine réfléchir aux restes de la lumière d'un jour qui s'éteint. Les petites jambes sautillent en hoquetant, les grandes foulées de leur guide pressée sont bien trop rapides.
Derrière deux grandes portes, ils découvrent toute une tribu d'enfants attablés, le nez plus ou moins plongés dans des assiettes immenses.

  Du fond de la salle, s'approche un homme au sourcil grave, au regard noir et glacé. 
  -Bonjour Chef Milo. Voici les deux petits nouveaux. Ils ne sont pas francophones !
  Un geste de la main. Siméon et son petit frère vont s’asseoir au bout d'une longue table de bois brut, sur un banc lustré par des générations de passage.

  Une autre dame longue, plus longue que l'autre, dépose deux assiettes. Dans un liquide tiède surnage une cuillère. Des voix lancent des mots inconnus.
  Siméon enregistre « soupe, mangez, ». Il fait le brave et invite son frère à l'imiter en lui susurrant les deux mots qu'il venait de capter:
  "Soupe". "Mangez".

27 janvier 2018

Un jour, peut-être le deuxième...

  La fenêtre était le seul point lumineux de la salle de bains, une sorte de lueur presque lugubre les soirs d'hiver. Siméon avait coupé le son de son poste de radio. Quelques nouvelles du Monde s'étaient fait psalmodier à l'heure où les aiguilles de la pendule marquaient le nord.
  -Ouais !... Ça n's'arrange pas !

  Dehors, les plaintes du vent se faisaient encore plus glaciales. Le marronnier se courbait diplomatiquement aux sommations d’Éole. De temps à autre, un merle s'arrachait aux griffes des branches et s'abandonnait aux courants d'air.
  Un petit frisson d'avril se glissa sous la chemise à carreaux de Siméon.
  -Et si je me faisais un thé vert à la menthe ?
  Une menthe à l'eau à l 'heure du thé ? De quoi faire douter à la vue d'un halo !
  La petite casserole en inox flamboyant fit son office prestement . L'eau frissonna, elle aussi. Mais en chantant. Bientôt, le parfum de la boisson préférée envahit les narines accueillantes.
  -Allez hop ! Moment de folie ! J'ajoute un demi-sucre !

  La pendule de parquet se réveilla pour annoncer... Qu'importe ! Ses aiguilles étaient frappées d'incertitude depuis longtemps. Elle sonnait plusieurs fois dans la journée, jamais complètement, hésitant entre un hoquet et une série incomplète de battements étouffés.
  -Toi non plus, tu ne sais plus où tu en es ?
  Siméon avait toujours cette impression diffuse d'avoir un pied dans un autre monde. Pas le sien, ni celui d'un autre. Simplement dans autre chose, dans un ailleurs indéfinissable. Les quelques voisins qui le croisaient dans la galerie du centre commercial, n'osaient que rarement croiser son regard. Certains le saluaient discrètement, d'autres tentaient quelques mots.
  Siméon répondait aux sourires, serrait des mains, esquissait une conversation, et s'esquivait rapidement. Il n'aimait pas cet endroit et le visitait le moins possible. Depuis longtemps, il avait dit adieu aux petits commerçants de son quartier. Ali était le dernier et survivait. Ils s'appréciaient en silences et en services. Leurs conversations ne s'animaient que sur le banc du petit square de la rue du moulin.

  Personne ne savait pourquoi...

27 janvier 2018

Siméon

   Sur le mur des anciennes écuries, un lierre serpentait paresseusement, clignant de la feuille vers la fenêtre d'où Siméon épiait le ciel. Parfois passaient un héron, quelques mésanges, une volée de moineaux, un nuage... Jamais le parfum de la Liberté.
   La présence des chevaux n'était qu'un lointain souvenir. Certains anciens, ou quelques autochtones éclairés, évoquaient les nobles montures au cours de rares conversations.
   Siméon n'avait jamais connu cette époque. Certains soir, plus profonds que d'autres, il percevait l'odeur des écuries. Ce n'étaient que des sensations ancrées dans son inconscient, écho lointain d'un passé de ruralité bienheureuse. Ne trottaient en ces lieux que de rares ombres réveillées par le vent de nord-est qui se frotte aux collines.
   Le bruit des fers contre les pavés de la cour ne résonnait plus...
  La grille du porche, enchaînée gauchement et cadenassée, n'incitait plus les curieux. Le vieux pigeonnier n'avait plus de raison d'être et avait fini par s'ennuyer au fond de l'impasse.
   L'endroit se faisait oublier des hommes. Des hommes et de leur histoire.
   Seul le regard de Siméon se posait encore sur les briques martelées par le temps qui passe. Des briques rouges aux nuances si subtiles. Brunswick, Amarante, écrevisse, tomate, garance, Andrinople, Alizarine, Tomette, et combien d'autres encore... claires ou foncées, orangées ou feu, flammées ou brûlées...
   Enfermé dans cette coquille depuis trop longtemps, il pouvait presque les raconter toutes, avec leurs défauts, leur place, leurs voisines, les mousses, les joints de mortier à l'ancienne, les plantules héroïnes de la vie qui lutte, et surtout ce lierre qui naquit un jour de pluie de mars.
   C'était en... Siméon ne se souvenait plus.

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La fenêtre de Siméon Flower
  • Un échange de trousseaux de clefs amena un jour Siméon Flower en un endroit connu de lui seul. A l'aide des aiguilles du temps et d'une pelote d'amitié, il s'amusa à tricoter des mots au hasard. Une phrase à l'an droit, une autre à l'an vert.
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