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La fenêtre de Siméon Flower
31 janvier 2018

Siméon raconte encore...

Arrivé à la Gare d'Austerlitz, je m'envole du taxi et file à tire-d'aile vers le train sans prendre garde à ce qui m'entoure. Aucun détail ne retient mon attention. J'ai trop peu de temps devant moi. Je trouve vite ma place.
En face de moi, un couple qui doit avoir l'âge que j'ai aujourd'hui. (Ça va ? Tu suis ?...). À eux deux, ils doivent comptabiliser un siècle de plus que moi... à peu de chose près. Ce qui ne nous empêche pas de sympathiser. Je sens que leur compagnie me sera fort agréable.
À leur droite, une jeune femme fouille dans un sac à main immense. Ses cheveux cachent un visage que je n'ai pas encore vu. A-t-elle de beaux yeux au moins ? Je le saurai au cours du voyage... à moins que l'exploration ne soit interminable. 
Près de moi, une dame lit. C'est la première chose que j'ai repérée en entrant dans le compartiment. « Lève-toi et marche », d'Hervé Bazin. De cet auteur je n'ai lu que « Vipère au poing".Je pense qu'elle fermera son livre avant la fin du voyage. Elle semble être une lectrice particulièrement active et concentrée.
Près de la fenêtre, un autre couple ne se préoccupe pas des autres passagers. Le jeune homme, les sourcils froncés, semble tendu et tient des propos d'une tonalité agressive. La jeune dame, sur la défensive, réplique en sourdine dans un calme qui me plait bien... 
Le wagon subit un soubresaut et les conversations cessent. Les regards se tournent vers la fenêtre. Fausse alerte.
La porte du compartiment s'ouvre, une tête antipathique apparaît et disparaît dans un grommellement.
-Il n'a pas l'air content le Monsieur ! Lance mon vis-à-vis.
-Il cherche sans doute le wagon-restaurant !...
(Pourquoi je dis ça moi ? J'ai faim, c'est vrai, mais ces mots sont partis automatiquement).
-Il y avait pourtant encore une place pour tout à l'heure !
Je ne comprends de suite le sens de ces mots. Nous quittons la Gare et le convoi s'élance vers le sud, vers la frontière espagnole. Je vérifie si mes papiers d'identité occupent toujours ma poche. Tout y est : Carte d'identité, passeport, certificat d'émancipation. Je n'ai que dix-sept ans et j'en ai besoin.
Et les heures roulent et s'écoulent au rythme du train qui plonge dans la nuit.
Devant moi, monsieur et madame posent un panier sur les genoux et déballent une incroyable armée de victuailles campagnardes. C'est impressionnant ! La lumière n'est pas très efficace mais je distingue des fruits, du pain, des saucissons de toutes tailles, deux bouteilles de vin bouchées manuellement, une véritable caricature de petit déjeuner sur l'herbe. Je n'en reviens pas.
La dame au sac à main n'ose pas bouger le moindre cil. L'autre dame pose son livre, cesse sa lecture et lève le bout du nez.
-Heu...Vous permettez ? On a une petite faim !...
Mon estomac se met à genoux.
(-S'il te plait, occupe-toi de moi...)
-Tiens mon gars ! Je sais ce que c'est !
Et me voici les yeux écarquillés devant un casse-croûte de compétition difficilement tenu par mes deux mains ! J'enfonce les dents avec bonheur, découvrant des saveurs exquises de cornichon au vinaigre, de terrines diverses et me semble-t-il de quelques feuilles de roquette bien fraiches. 
-T'aime bien la roquette ? Ma mère appelait ça de la riquette !...
-Oui, j'adore !
-Tu sais à quoi ça ressemble ?
Et l'homme me tend une gravure en couleurs représentant de la roquette à divers stade de son développement.
-On dirait du « diplotaxis à feuilles ténues » !
L'homme s'arrête de mâcher.
-Tu connais ça, Toi ?
-J'ai bien dit « on dirait » !
-Et comment tu sais ça, Toi ?
-J'ai suivi il y a quelques temps les cours de Monsieur F., un professeur de sciences de la Nature, dont je garde un excellent souvenir. Il nous a initié à l'écologie, « une science d'avenir ».
Et les questions fusent. Dans chaque camp.
-Ce sont des cornichons de votre jardin ?
-Tu étais dans quel établissement ?
-C'est vous qui faites les terrines ?
-Tu étais en pension ?
-Vous y avez mis des grains de genièvre ?
-Tu revenais tous les combien ?
-C'est du porc ? Du veau ? Les deux ?
Je passe sur les échanges extraordinaires autour de ce casse-croûte hors du commun. 
Les bouteilles contiennent du vin de pays, c'est vrai. Mais de quel pays ?
Et le temps passe...
Port-Bou. Changement de train.J'entre en Espagne..

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La fenêtre de Siméon Flower
  • Un échange de trousseaux de clefs amena un jour Siméon Flower en un endroit connu de lui seul. A l'aide des aiguilles du temps et d'une pelote d'amitié, il s'amusa à tricoter des mots au hasard. Une phrase à l'an droit, une autre à l'an vert.
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